John Cromwell
États-Unis | 1939 | 1h32 | VOSTF
Titre original : Made for Each Other
Présenté par Marc Cerisuelo
Après un voyage d’affaires, le jeune avocat John Mason rentre à New York… marié ! Cela contrarie fortement son patron, le juge Doolittle, ainsi que sa mère, Mme Mason, qui prévoyaient de lui faire épouser la fille du juge, Eunice. Cette union garantissait en effet à John Mason de devenir l’associé du juge. Alors que John et sa femme Jane s’apprêtent à partir en croisière pour leur voyage de noces, Carter, avocat dans le même cabinet que John, vient lui annoncer qu’un procès d’une importance capitale se tiendra pendant la semaine : les jeunes mariés sont contraints de renoncer à leur projet.
Eunice épouse Carter, et celui-ci devient l’associé du juge Doolittle à la place de John. Les jeunes mariés, de leur côté, s’installent dans un appartement et proposent à Mme Mason d’emménager avec eux. Celle-ci leur rend la vie difficile, ainsi qu’à leur domestique. Jane et John ont un enfant. L’argent vient à manquer pour entretenir la petite famille, et Jane pousse John à demander une augmentation. Ce dernier va trouver le juge Doolittle, mais alors qu’il s’apprête à lui dévoiler sa requête, son patron lui annonce qu’il doit diminuer tous les salaires de l’entreprise – y compris le sien – en raison des difficultés financières que l’entreprise rencontre dans un contexte de récession économique. John, honteux et furieux, provoque une dispute avec sa femme.
Les dettes du couple s’accumulent. La domestique, qu’ils ne peuvent plus payer, quitte l’appartement. Dans ce contexte, les rapports entre Jane et sa belle-mère s’enveniment. John recherche de plus en plus la solitude. Pendant la fête du Nouvel-An, John et Jane décident de se séparer. Mais au même moment, le bébé tombe gravement malade. Il mourra dans la nuit si un certain sérum ne lui est pas administré, mais celui-ci se trouve à Salt Lake City : cela coûterait cinq mille dollars de l’envoyer chercher en avion et une tempête fait rage sur la région. Le juge Doolittle accepte de financer l’opération, mais du fait de la tempête, le pilote, marié et père de famille, refuse de voler. Un de ses amis célibataire, Conway, accepte finalement la mission, cédant aux supplications de John. Alors qu’il revient de Salt Lake City, pris dans la tempête, l’avion s’écrase dans les montagnes pas très loin de New York. Le pilote a tout juste le temps de sauter en parachute avec le précieux sérum. Il est blessé, mais vivant. Il parvient à ramper jusqu’à la ferme la plus proche, où les agriculteurs le trouvent. Le sérum est finalement livré à l’hôpital et le bébé sauvé. John et Jane sont de nouveau réunis. Quelques années ont passé. John est devenu l’associé du juge Doolittle, et John Jr. surprend la compagnie en prononçant ses premiers mots.
Production du célèbre David O. Selznick pendant ses années d’indépendance (entre 1936 et 1940, à la tête de sa société la Selznick International Pictures), Le Lien Sacré (Made for Each Other) pourrait figurer parmi la catégorie des « woman’s films », qui semblent particulièrement intéresser le producteur à la fin des années 1930. De Une étoile est née en 1937 à Rebecca en 1940, en passant par La Joyeuse Suicidée (1937) et Le Lien Sacré (1938), Selznick produit des films prioritairement destinés à un public féminin, mettant en scène une femme à laquelle les spectatrices pourront s’identifier, traitant de sujet considérés comme susceptibles d’intéresser en particulier ce public (histoires d’amour, progression sociale, vie domestique, sacrifice de soi), et dont le scénario a le plus souvent été écrit par une femme. Ces films ont aussi la particularité de donner une place, à l’écran, aux transformations sociales des années 1930, et notamment à l’accès des femmes au travail et à la vie active.
Mais a bien des égards, Le Lien Sacré est aussi une variation dramatique sur les thèmes de la comédie de remariage : mariés beaucoup trop précipitamment, au goût de tous y compris au leur, John et Jane devront relever ensemble les épreuves du quotidien (la naissance d’un enfant, la belle-mère difficile, les difficultés financières) pour inscrire leur union dans la durée et transformer leur coup de foudre en un mariage fondé sur la connaissance de l’autre et l’expérience commune. En cela, Le Lien Sacré peut aussi être rapproché d’un autre film de la sélection américaine, Elle et Lui, de Leo McCarey, dans lequel l’union finale du couple n’est rendue possible que par un lent processus de découverte de soi face à l’adversité. Cette question est aussi au coeur du film que Selznick produira après Le Lien Sacré, premier film américain d’Alfred Hitchcock, Rebecca (1940) : de même, un mariage précipité ne se voit confirmé qu’une fois que les protagonistes ont relevé ensemble les défis que le sort s’acharne à mettre sur leur chemin (en l’occurrence, le meurtre dont on accuse le mari). À travers des contextes variables et avec leurs enjeux propres (l’époque victorienne, l’Amérique urbaine des années 1930, etc.), ces films sont tous des leçons sur la nature de l’amour conjugal.
Le « lien sacré », c’est l’enfant qui finit par réunit à nouveau deux êtres faits l’un pour l’autre. (Made for each other est d’ailleurs le titre anglais). L’histoire commence de la façon la plus amusante. James Stewart rencontre Carole Lombard dans la rue et l’aide à enlever une poussière de l’œil. Ils se marient. Le jeune homme, timide, a toutes les peines du monde à avouer la vérité à sa mère. Celle-ci finit par « accepter » la situation mais la vie à trois n’a rien de drôle… Puis l’enfant vient au monde et le jeune ménage manque de plus en plus d’argent, car James Stewart ne sait pas se faire valoir auprès de ses chefs. Bien que les jeunes gens continuent à s’adorer, James Stewart décide de se séparer de Carole Lombard, lorsque l’enfant tombe gravement malade. Pour le sauver il fera tout ce qui est humainement possible. Et tout finira le mieux du monde. John Cromwell a mis en scène ce film où l’humour, la gaîté alternent avec le drame. Carole Lombard est parfaite dans le rôle de la jeune femme tendre, aimante, fine et si jolie. James Stewart est excellent : je ne vois pas un autre acteur qui serait aussi à l’aise dans ce rôle degrand garçon gauche, timide et doux.
Marguerite Bussot, Pour Vous, n°572, 1er novembre 1939.
Le Lien Sacré est l’histoire d’un homme et de sa famille. C’est une comédie dramatique sur la vie domestique aussi attachante que l’on peut le souhaiter. À aucun moment, durant le film, on a envie d’exploser en un tonnerre d’applaudissements. Le public ne sera pas non plus d’humeur à mettre son siège en pièce d’émotion face à la fin du film. Mais, battant d’un intérêt tout à fait terre à terre pour l’existence humaine, mêlant un humour domestique naturel avec le sérieux qui fait partie de la vie réelle ou imaginée de n’importe quelle famille américaine moyenne atteignant presque la tragédie, le spectacle a le pouvoir de nous faire rire et pleurer.
Le Lien Sacré n’est pas loin de représenter le divertissement idéal pour la famille américaine moyenne. Tout ce qui arrive dans le film pourrait possiblement arriver dans n’importe quel foyer. Le scénario de Jo Swerling est un résumé fort lisible de tous ces évènements et accidents. La réalisation de John Cromwell rend tout cela très crédible. Et dans la manière dont les rôles sont interprétés, Carole Lombard et James Stewart sont tout simplement les prototypes de l’époux et de l’épouse américains moyens. Les acteurs secondaires, parmi lesquels les superbes Charles Coburn et Lucille Watson, incarnent tout simplement leurs patrons, proches, voisins et associés. Tout le monde a l’air de vivre son rôle.
« Hollywood Previews: Made for Each Other », Motion Picture Daily, 7 février 1939.
Que les usages de la vie domestiques sont gentils, comme l’a dit quelqu’un (sûrement Jo Swerling), et M. Swerling n’a jamais utilisé les scènes de la vie domestique plus gentiment que dans Le Lien Sacré, le film terriblement délicieux que lui et le reste de l’équipe de Selznick International ont donné au Music Hall hier.
Voilà une peinture profondément humaine que celle qu’ils ont créée, humaine et de ce fait, comique, sentimentale, et poignante par moments. Et nous n’avons aucune intention de manquer de respect à leur création en soulignant que tout cela est aussi peu original que deux jeunes gens qui se marient, ont un enfant, rencontrent des problèmes de belle-mère, de domestique et d’enfant, s’inquiètent de leur travail et se disputent au Nouvel An. Car cela, en effet, est le récit du film, et cela s’avère être aussi l’histoire, d’une manière ou d’une autre, de presque tous les jeunes couples qui ont jamais existé et qui existeront jamais. Mr. Swerling n’a rien dit de nouveau, n’a pas pris parti ni jeté la moindre lumière nouvelle sur la sombre course de la destinée humaine. Il a simplement trouvé un jeune couple fort plaisant, ou du moins les a laissés se trouver, puis a laissé la nature accomplir son œuvre. C’est un procédé bien inhabituel pour un scénariste. D’habitude, ils mettent la nature de côté et imaginent les actions les plus sombres pour leurs personnages. Il est fantastique de voir à quel point le comportement d’un être humain normal peut être intéressant. Bien sûr, tout le crédit ne revient pas à Mr. Swerling, qui a simplement écrit le film. Cela n’aurait sans doute jamais fonctionné sans le regard avisé de John Cromwell et le jeu de James Stewart et Carole Lombard interprétant les Mason (…).
Frank S. Nurgent, « The Screen: In the Best of Humors is Made for Each Other », The New York Times, 17 février 1939.
Réalisation John Cromwell. Production David O. Selznick. Société de production Selznick International Pictures. Assistant à la réalisation Eric Stacey (non-crédité). Scénario Jo Swerling, Rose Franklin, Frank Ryan (non-crédité). Photographie Leon Shamroy. Son Jack Noyes. Direction artistique William Cameron Menzies, Lyle Wheeler. Montage James E. Newcom, Hal C. Kern. Scénographie Edward G. Boyle. Costumes Travis Banton. Musique Lou Forbes. Effets spéciaux Jack Cosgrove. Distribution James Stewart, Carole Lombard, Charles Coburn, Lucile Watson, Eddie Quillan, Alma Kruger, Ruth Weston, Donald Briggs, Harry Davenport, Esther Dale. Durée 85 minutes ou 92 minutes selon les copies. Sortie aux États-Unis 10 février 1939.